Quand Yvan Comlan Owoula Bossou vient me voir, après son brillant master d’Histoire des Relations internationales à l’Université Omar Bongo, pour être son directeur de thèse, j’avais sur les mains une question brûlante pour laquelle, j’avais certes rédigé un article, mais qui restait inédite à l’Université, malgré sa popularité au sein de la doxa populi : «l’africanisation de la paix ».

Un impensé en effet, puisqu’il n y’avait aucune réponse satisfaisante sur la scientificité de ce concept. Je lui propose, avec un brin d’obligation, de relever le défi de l’éclairer scientifiquement pour en faire un objet de recherche universitaire. Le résultat attendu était donc de préciser les contours historiques, conceptuelles et praxéologiques de cet impensé de l’histoire des idées sécuritaires africaines. Ce qui n’était pas simple !
Son acceptation à aller dans ce sens, a été le début d’une aventure scientifique féconde qui, au final, fait de ce jeune docteur (puisqu’il a été admis au grade avec la mention Très honorable), un pionnier dans le champ de la sécurité africaine, qu’il devra, au fil de sa maturation scientifique, défricher davantage et en être le porteur.

Le récit de notre aventure prend un autre tournant. En plein milieu de sa thèse, il vient me voir pour me dire qu’il a finalement trouvé la clé du problème. Son idée était que si « l’africanisation de la paix » n’est pas devenue une idéologie établie et une politique publique africaine, c’est parce qu’elle portait en elle-même les facteurs de son indétermination. Je lui réponds : s’il en est ainsi, alors ton fil conducteur sera de démontrer ce fait qui apporte un éclairage nouveau aux ambitions freinée d’une paix africaine. Dès cet instant, le jeune docteur ne savait pas qu’il venait de faire un saut dans un autre inconnu : l’épistémologie de la sécurité africaine, domaine qui n’a pas encore de maîtres, encore moins de chaire dans les Universités africaines. Il ne s’agissait plus de n’étudier que les dynamiques historiques, les mécanismes de paix africains, les partenariats internationaux, mais d’étendre la curiosité scientifique au substrat idéologique de la « paix africaine », sorte de « pax africana », et aux impossibilités d’une endogénéisation de la sécurité collective africaine, domaine de prédilection de l’ONU ; cela, malgré les puissants fondements de la vision des pères des indépendances : « l’Afrique aux Africains », des « solutions africaines aux problèmes africains », ou du filon de la pensée unificatrice des initiateurs du panafricanisme. Il y alla par un chemin théorique de sa propre inspiration : l’afro-idéalisme, testant in vivo, ce qu’est l’éclectisme intellectuelle dont est porteur le spécialiste des sciences historiques doublé d’internationaliste. Il lui fallait asseoir le concept « africanisation de la paix ».

C’est le premier défi relevé par cette thèse. Ensuite, il fallait voir, comment «l’Africanisation de la paix » a innervé les architectures de paix africaine depuis leurs prémices en 1963. C’est le second défi relevé par cette thèse. L’africanisation de paix a-t-elle conduit à l’autonomie sécuritaire de l’Afrique ? Autrement dit, en matière de paix et sécurité, l’Afrique arrive-telle à réagir selon sa propre volonté ? La réponse nuancée que le jeune docteur apporte montre l’actualité du débat et l’utilité de sa réflexion doctorale pour la gouvernance de la paix en Afrique : la nécessité d’une endogénéisation de la sécurité au travers de mécanismes de l’Afrique ancienne (ainsi que le recommande l’Agenda 2063 de l’UA), mais revisités pour tenir compte du contexte de notre modernité.

En passant au crible toutes les occurrences conceptuelles de cette notion et toutes les plausibilités de sa matérialisation, la thèse rend un immense service à la pensée africaine contemporaine : elle introduit cette notion dans le champ universitaire et l’éclaire. Il s’agit dorénavant, affirme cette thèse, quand on parle d’africanisation de la paix, moins d’une autonomie africaine en matière de sécurité, mais de toutes modalités actuées par les Africains afin d’être eux-mêmes, de se responsabiliser et de prendre en charge leur propre sécurité en adaptant les doctrines modernes à leur droit à la différence, à leurs réalités contextuelles. C’est, in fine, l’apport scientifique majeur de cette thèse très informative. Cela fait de ce jeune chercheur prolixe, une promesse à soutenir. Il compte quelques manuscrits d’ouvrages qui sont sur ma table de travail ; il est déjà l’auteur de trois articles déjà parus : l’un dans l’ouvrage collectif commandité par le CAMES et mené sous ma direction, sur l’évaluation des mécanismes de prévention et de gestion de crise en Afrique (2021) ; l’autre dans Cahier de la Recherche Africaine (n° 3, janvier 2024) ; le troisième dans la revue ReGESMA (n° 4, décembre 2024).

Pr Jean-François OWAYE