Après près d’une décennie de tractations, le Gabon touche au but. L’État s’apprête à rapatrier plusieurs centaines de millions de dollars destinés à la remise en état des sites pétroliers exploités sur son territoire. Une avancée stratégique pour la souveraineté économique et environnementale du pays.

C’est une conférence de presse peu ordinaire qui s’est tenue mercredi à l’immeuble Arambo, en plein cœur de Libreville. Autour du vice-Premier ministre en charge du Plan et de la Prospective, Alexandre Barro Chambrier, plusieurs poids lourds du gouvernement – Mark Alexandre Doumba (Économie), Charles M’ba (Comptes publics), Marcel Abeke (Pétrole) – ont fait front commun avec les représentants des opérateurs pétroliers, dont les directeurs généraux d’Assala Energy et de Vaalco, la présidente de l’Union pétrolière du Gabon (Upega), Jacqueline Bignoumba, ainsi que le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), Yvon Sana Bangui.

En toile de fond, un dossier aussi technique que crucial : le retour au pays des fonds dits de remise en état des sites (RES), accumulés par les compagnies pétrolières durant la période d’exploitation pour financer la réhabilitation environnementale des zones concernées. Jusqu’ici logés à l’étranger, en dépit des prescriptions du Code monétaire et financier, ces fonds échappaient au contrôle direct de l’État gabonais.

Un compromis longuement négocié

Selon le ministre du Pétrole, Marcel Abeke, pas moins de 27 points d’achoppement ont été identifiés au fil des années dans ce dossier, illustrant la complexité des enjeux à la fois juridiques, financiers et diplomatiques. « Il ne s’agit pas de transférer à l’État des sites dégradés, mais de s’assurer que les opérateurs honorent leur obligation de réhabilitation. En cas de défaillance, l’État doit pouvoir intervenir », a-t-il précisé.

Le gouvernement a toutefois fait un constat préoccupant : les opérateurs préféraient conserver ces fonds à l’étranger, invoquant des raisons de sécurité juridique et financière. Une situation que les autorités ont décidé de faire évoluer, dans un contexte régional marqué par un regain d’exigence en matière de souveraineté économique.

La BEAC au cœur des derniers arbitrages

Désormais, un seul verrou subsiste : la question de la clause de non-saisissabilité des avoirs logés à la BEAC, qui empêche toute procédure judiciaire de blocage ou de saisie sur les fonds déposés. Cette immunité, inscrite à l’article L.153-1 du Code monétaire et financier, est défendue bec et ongles par les autorités régionales comme un socle de la stabilité monétaire en zone Cémac.

« Si cette immunité était levée, n’importe quelle entité pourrait attaquer la BEAC dans le monde entier. Ce serait une aberration, aucune banque centrale n’accepte cela», a martelé Charles M’ba. Un point de vue partagé par la banque centrale et les compagnies pétrolières, qui demandent des garanties solides.

Un tournant pour la gouvernance du secteur extractif

Signe de l’avancée des pourparlers, la présidente de l’Upega, Jacqueline Bignoumba, a salué « un climat constructif » et une « volonté commune d’aboutir ». L’enjeu dépasse le simple rapatriement de fonds : il s’agit aussi de renforcer la transparence du secteur pétrolier, améliorer la responsabilité environnementale des opérateurs, et restaurer la confiance entre l’État et les entreprises.

Pour le Gabon, qui ambitionne de faire du développement durable un axe majeur de sa stratégie post-pétrole, le déblocage des fonds RES représente bien plus qu’un transfert d’actifs. C’est un signal fort d’une gouvernance renouvelée, soucieuse à la fois de ses ressources et de son environnement.

Joy Kengue