«Il s’agit d’une fiction mettant en scène les horreurs de l’esclavage organisé par des Africains au XVIIIe siècle» Magazine français « Valeurs Actuelles »
«Nous n’avons pas derrière nous la grande et glorieuse généalogie où la loi et le pouvoir se montrent dans leur force et dans leur éclat. Nous sortons de l’ombre, nous n’avions pas de droit et nous n’avions pas de gloire et c’est précisément pour cela que nous prenons la parole et que nous commençons à dire notre histoire».
Paul-Michel Foucault (1926-1984), dans «Il faut défendre la société », Page 62.
Et moi j’ajoute : Je n’ai pas de gloire en dehors de celle que moi-même ai rapportée. Je n’ai pas d’histoire en dehors de celle racontée par moi-même. Et c’est bien parce que je suis capable de prendre conscience du fait que l’histoire racontée par les autres n’est pas la mienne que je dois me préparer à réunir les fragments des évènements cachés, pour écrire moi-même, ma propre histoire.
Foucault dit que nous sommes au cœur d’une guerre de race. Il y a au centre la race dominante qui a fixé pour tout le monde les critères de « la bonne race », la sienne. Elle est le centre, la métropole et toutes les autres races sont la périphérie et doivent se conformer à elle. Il existe une seule histoire, la sienne, celle du centre. La périphérie n’a pas d’histoire.
Il existe une seule connaissance, la sienne, celle du centre. C’est la référence. Le savoir de la périphérie est subalterne, c’est un « savoir assujetti » un savoir disqualifié, discrédité par la hiérarchie des connaissances ou « tenu en lisière» : un savoir infâme. Et de ce savoir infâme ne peut provenir aucune histoire, aucune vérité.
Dans ces conditions, vouloir raconter une contre histoire,  est selon Foucault, une forme de résistance, un catalyseur de différentes relations de pouvoir. Parce que « la vérité est partisane ».
Et par conséquent, il n’y a pas une seule vérité. La vérité du bourreau ne peut pas être la même que celle de ses victimes. Sauf que c’est la vérité du bourreau qui est l’histoire officielle. Et puisqu’il disqualifie à travers sa hiérarchie de la connaissance, tout savoir venant de la victime, même cette dernière croit par erreur qu’il est dans son intérêt d’aller chercher la connaissance au centre, à son bourreau. Oubliant de fait qu’il s’agit qu’une connaissance biaisée, racontant une vérité partisane qui nie sa propre existence.
L’oublié de l’histoire, pour raconter lui-même sa propre histoire a besoin selon Foucault, de nouvelles connaissances dans lesquelles, la vérité racontée montre finalement, « quelqu’un d’autre qu’une imitation, quelqu’un d’autre que le jouet du mauvais sort colonial, quelqu’un d’autre qu’une existence clonée par le regard du bourreau ».
Parce que pour l’histoire officielle, selon Foucault, la victime est un être fictif. Et par conséquent, même son histoire est fictive. Il n’existe qu’à travers l’histoire de son bourreau. Il n’a d’existence qu’à travers la vérité partisane du bourreau qui le définit forcément comme un sauvage, un indigène, une infamie.
Foucault parle plus précisément de ces victimes traitées par le bourreau comme des « hommes infâmes », des êtres quasi fictifs dont la vie aurait été réduite à « quelques mots terribles qui étaient destinés à les rendre indignes pour toujours de la mémoire des hommes » et dont le retour « maintenant dans le réel se fait dans la forme même selon laquelle on les avait chassés du monde».
M. Foucault, dans « La vie des hommes infâmes », Dits et écrits, T. III, Paris, Gallimard, 1994, p. 243
Pour sortir de l’infamie, pour les victimes, Foucault a trouvé 3 formes de luttes possible :
1) la lutte qui s’oppose aux formes de dominations sociales, ethniques ou raciales;
2) la lutte contre l’exploitation au travail ;
3) la lutte contre la soumission de la subjectivité.
Pour dire sa part de vérité partisane, c’est la 3ème forme de lutte qui nous intéresse.
Pour y parvenir, Foucault suggère de passer par « un retour de savoir » et par «l’insurrection des savoirs assujettis ». Ce qui signifie qu’il faut avant tout être en mesure de remettre en question tout le savoir reçu du modèle éducatif créé par le bourreau, pour ensuite, rechercher les contenus historiques cachés dans des «systématisations formelles » et qui permettront de mettre en avant le plus important qui est la séparation des différentes luttes que l’histoire officielle veut faire oublier.
En d’autres termes, l’histoire officielle de l’esclavage et de la colonisation vue et propagandée par les européens fait de la prestidigitation en nous racontant le grand humaniste et l’altruiste de civilisation européenne envers les autres peuples, omettant soigneusement de mettre en avant la violence inouïe qu’elle a incarnée, mettant en sourdine toute la violence qui l’a accompagnée.
L’intérêt de la victime de mener une résistance efficace est donc de commencer à être capable de séparer ses différentes luttes pour finalement accorder la priorité à la plus importante des luttes, celle pour mettre fin à la soumission, en allant chercher ce que l’histoire officielle a intérêt à cacher. Et c’est seulement à ce moment, qu’on pourra commencer à écrire selon Foucault, « l’histoire des éternels oubliés de l’histoire », créatures des fantasmes exotiques de l’esclavage et de la colonisation européens contre l’Afrique.
Ecrire l’histoire des « sans-grade et des oubliés de l’histoire », c’est chercher et retrouver les traces d’une autre histoire, celle des formes de dominations ordinaires, héritières du colonialisme à travers les événements et les formes différentes formes de résistance de ces «sans-grade ».
C’est à ces conditions proposées par Foucault, que nous pourrons structurer notre pensée, pour réécrire l’histoire qui nous permettra de comprendre l’histoire de l’Afrique, mieux, l’histoire des éternels oubliés de l’histoire de l’Afrique.
Voici ce que j’écrivais au président français Nicolas Sarkozy en 2009 :
« La France reste le seul pays ayant participé à la pratique de la déportation des africains, qui continue impunément à utiliser le mot NEGRE dans ses élans racistes sans gène, et je ne parle pas de l’homme de la rue, des incultes du bar ou des maçons ignorants. Non il s’agit des intellectuels qui ont cru bon de traduire le mot anglais GHOST WRITER (auteur anonyme d’un texte signé par une autre personne), par NEGRE, sans s’interroger sur la frustration que nous éprouvons comme Noirs chaque fois qu’ils prononcent ce mot insultant. Pour comparaison, les Allemands l’ont traduit par GHOSTWRITER, les Espagnols par FANTASMA ESCRITOR, les Finlandais par GHOST KIRJAILIJA, les Suédois par SPÖKSKRIVARE, les Roumains par PERSOANA CARE SCRIE PENTRU ALTCINEVA etc… d’autres pays ont tout simplement choisi de ne pas le traduire et d’utiliser le mot anglais tel quel, c’est le cas de l’Italie, le Portugal ou le Danemark. »
11 ans après, le 26 Août 2020, l’arrière-petit-fils d’Agatha Christie, James Prichard décide que « 10 Little Niggers » (« Dix petits nègres »), le best-seller mondial d’Agatha Christie vendu à 400 millions de copies, écrit en 1938 et traduit en 1940 en France avec le titre de « Dix petits nègres », change de nom et s’appelle désormais « Ils étaient 10 ».
C’est l’histoire du piège mortel tendu à dix personnages convoqués sur une île mystérieuse... « L’île du nègre », pour y être assassinés.
James Prichard, qui gère le patrimoine d’Agatha Christie explique la raison de sa décision :
« Quand le livre a été écrit, le langage était différent et on utilisait des mots aujourd’hui oubliés, explique l’arrière-petit-fils d’Agatha Christie. Ce récit est basé sur une comptine populaire qui n’est pas signée Agatha Christie… Je suis quasiment certain que le titre original n’a jamais été utilisé aux États-Unis. Au Royaume-Uni, il a été modifié dans les années 1980 et aujourd’hui nous le changeons partout… Mon avis c’est qu’Agatha Christie était avant tout là pour divertir et elle n’aurait pas aimé l’idée que quelqu’un soit blessé par une de ses tournures de phrases… Aujourd’hui heureusement, nous pouvons y remédier sans le trahir tout en étant acceptable pour chacun… Ça a du sens pour moi : je ne voudrais pas d’un titre qui détourne l’attention de son travail… Si une seule personne ressentait cela, ce serait déjà trop ! Nous ne devons plus utiliser des termes qui risquent de blesser : voilà le comportement à adopter en 2020… »
Ce qu’on ne nous a pas dit, c’est que c’est pour la France que le petit fils a changé ce titre. Car, aux États-Unis, le livre avait été publié en 1939 sous le titre de « Ten Little Indians », ensuite rebaptisé en : « Il n’en restait aucun ».
La France restait l’un des derniers territoires dans le monde à utiliser ce mot « nègre » depuis 1940 alors que dans le roman d’Agatha Christie, ce mot « nègre » est cité 74 fois. C’est en 1980, que ce titre, retenu choquant au Royaume Uni avait été changé, mais pas en France où même en 2020, ça continue de ne choquer personne.
Pire, les intellectuels français sont même contre l’héritier d’avoir imposé à la France un changement de titre. Pour eux, le mot «Nègre » n’est pas une insulte, mais un état.
En effet, le samedi 29 Août 2020 dans sa chronique tenue à 9h55 sur la télévision française d’information continue CNEWS, Guillaume Bigot s’insurge sur le changement du titre du livre de Agatha Christie. Il explique que NEGRE ou NIGGER n’insulte personne, puisque ce sont les africains eux-mêmes qui l’utilisent au quotidien pour s’insulter ou pour magnifier la couleur de leur peau.
Il va jusqu’à affirmer que Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor vont se retourner dans leurs tombes, eux qui ont créé le concept de Négritude, pour magnifier le Noir, parce que pour lui, « Nègre », c’est bien, c’est très bien.
Daniele Obono est née le 12 juillet 1980 à Libreville. Elue députée dans la 17ᵉ circonscription de Paris lors des élections législatives de 2017, elle est la Porte-parole de La France insoumise.
Vendredi le 28/08/2020, le magazine français de droite Valeurs Actuelles publie une « politique fiction » de sept pages dans le cadre d’une série d’été où des personnalités politiques « voyagent dans les couloirs du temps ». Des dessins montrent la députée de Paris, Danièle Obono, à la peau noire, collier en fer au cou, illustrer ce « roman de l’été ».
L’objectif selon le magazine est qu’elle puisse « expérimenter la responsabilité de ses ancêtres Africains dans les horreurs de l’esclavage » au XVIIIe siècle.
Vous souvenez-vous des « oubliés de l’histoire » de Foucault ? Revoyons les mots du philosophe français pour mieux comprendre ce sujet d’actualité :
« L’histoire officielle du bourreau traite les victimes comme des « hommes infâmes », des êtres quasi fictifs dont la vie aurait été réduite à « quelques mots terribles qui étaient destinés à les rendre indignes pour toujours de la mémoire des hommes » et dont le retour « maintenant dans le réel se fait dans la forme même selon laquelle on les avait chassés du monde ».
On nous avait chassés de l’histoire et mis en esclavage parce qu’on n’avait pas d’âme selon la bulle papale Romanus pontifex du 8 janvier 1454 , du 208ᵉ pape de l’Église catholique sous le nom de Nicolas V du 6 mars 1447 au 24 mars 1455, de son vrai nom : Tommaso Parentucelli, né à Sarzana le 13 novembre 1397.
Nous voici qui rentrons et revenons dans le réel, à travers la même forme des « infâmes » dans laquelle on nous avait chassés.
Hier ils ont décidé de nous mettre en esclavage parce que nous étions des infâmes sans âmes, maintenant, ils nous ressortent de l’histoire avec l’étiquète des infâme, parce qu’au fond, ce n’est pas eux qui nous ont réduit en esclavage, c’est nous-mêmes, des infâmes qui nous sommes réduits en esclavages et les gentils européens n’ont fait que nous rendre un service à achetant les esclaves que nous ne savions plus à qui vendre. Voilà la preuve de Foucault qui dit que l’histoire officielle ne peut pas être objective, parce que la vérité lorsqu’elle est honteuse, est forcément partisane.
Valeurs Actuelles incarne l’histoire officielle, puisqu’en 2019, le chef de l’Etat français Emmanuel Macron lui a accordé une interview. On peut donc parler sans se tromper de la guerre des races de Foucault.
Il y a eu plusieurs réactions de condamnation de la fiction politique du magazine français :
– Le premier ministre français Jean Castex le 29/08/2020 a tweeté ceci : « Cette publication révoltante appelle une condamnation sans ambiguïté »(…) « Je partage l’indignation de la députée » et « l’assure du soutien de l’ensemble du gouvernement » (…) « La lutte contre le racisme transcendera, toujours, tous nos clivages ».
– Le ministre français de la justice, Eric Dupond-Moretti déclare le 29/08/2020 : « On est libre d’écrire un roman nauséabond, dans les limites fixées par la loi. On est libre aussi de le détester. Moi je le déteste et suis [aux] côtés de la parlementaire ».
– Le président de l’Assemblée nationale française, Richard Ferrand (du parti LRM de Macron), a a-t-il tweeté le 29/08/2020 ceci : «C’est une ignoble représentation d’une parlementaire». «Tout mon soutien personnel et celui de l’Assemblée nationale face à ces abjections».
– A l’extrême droite, Wallerand de Saint-Just, responsable du rassemblement national (RN), condamne les propos du magazine sur Twitter en disant ceci : «Il s’agit d’une publication d’un mauvais goût absolu » (…) «Le combat politique ne justifie pas ce type de représentation humiliante et blessante d’une élue de la République».
– Le chef de l’Etat Emmanuel Macron, par un communiqué de l’Elysée à l’Agence France-Presse dit avoir «appelé la députée en fin de matinée pour lui faire part de sa condamnation claire de toute forme de racisme».
Mais il y a 2 réactions qui nous intéressent le plus : celles des 2 protagonistes : le Magazine pour s’excuser et la députée pour condamner.
Le plus grave de l’histoire n’est pas ce rapprochement fâcheux entre une députée parce que d’origine africaine et l’esclavage, mais le communiqué que la rédaction du journal a publié pour se justifier :
«Valeurs actuelles» présente ses excuses à travers un communiqué le 29/08/2020 dans lequel le magazine affirme entre autre ceci : «il s’agit d’une fiction mettant en scène les horreurs de l’esclavage organisé par des Africains au XVIIIe siècle», «terrible vérité que les indigénistes ne veulent pas voir».
– Danièle Obono dénonce le 28/08/2020 «une insulte à [mes] ancêtres, ma famille» et «à la République».
«Une insulte à la République» ?
L’erreur de la députée française du Gabon est de croire qu’elle fait partie de la même histoire glorieuse racontée par les bourreaux.
La République, c’est avant tout « l’histoire officielle », celle dans laquelle on lui nie l’existence et sa présence n’est acceptée que comme une « infâme ».
Danièle Obono croit par erreur qu’elle fait partie de «la grande et glorieuse généalogie où la loi et le pouvoir se montrent dans leur force et dans leur éclat ».
Et dans ces conditions, elle confirme que son indignation comme celles de tous les autres citées plus haut n’est qu’une partie du folklore qui donnera l’illusion aux naïfs qu’il n’existe en France aucune «guerre de race» dont parle Foucault, mais une République gentille, joyeuse et accueillante où la loi et le pouvoir seraient au service aussi des prolétaires africains des ghettos français appelés prosaïquement : «Banlieue ».
Voilà un exemple qui montre combien Foucault avait raison, comme dit plus haut, que la vérité racontée par le bourreau cherche à faire de la victime, « une imitation, le jouet du mauvais sort colonial, une existence clonée par le regard du bourreau ».
Madame Obono en disant qu’en l’insultant, un Magazine conservateur a insulté « la République », manifeste son « existence clonée par le regard du bourreau ».
D’AUTRES EXEMPLES « D’EXISTENCE CLONEE PAR LE REGARD DU BOURREAU » : CHEICK ANTA DIOP ET L’EGYPTOLOGIE ANTIQUE
Quand la France à travers le CNR, finance l’intellectuel sénégalais Cheick Anta Diop pour construire un laboratoire à Dakar, c’est pour chercher quoi ? C’est pour trouver quoi que les chercheurs français n’avaient pas déjà trouvé en France ?
Sinclair Kamdem, représentant Gabon IEG.org  de Sieur Jean-Paul Pougala