Selon « L’article 35 nouveau définit les deux modes de désignation des Sénateurs élus, pour une partie, au suffrage universel indirect, et pour l’autre partie, nommés par le Président de la République », indique le communiqué final du conseil des ministre sans préciser le nombre de sénateurs qui seront désignés par le président de la République.

Ce projet de révision de la constitution qui a été adopté vendredi 18 décembre 2020 par le conseil des ministres, fait l’objet des débats.

Le Conseil des Ministres vient-il, à peine, de publier des indications devant servir de trame à des débats futurs sur des modifications constitutionnelles, notamment en rapport avec le mode de désignation des sénateurs, que le débat public est déjà lancé à travers les réseaux sociaux.

En effet, certains compatriotes ne trouveraient aucune légitimité à des sénateurs nommés par le Président de la République ; ce qui traduit, au minimum, un désir d’éclairage sur la question.

Pour mener correctement le débat, il est nécessaire de préciser, au préalable, le sens de la légitimité qui peut être conçue comme le caractère de ce qui est légitime, c’est-à-dire ce qui est :

– Fondé en droit ou en justice, reconnu par la loi (Ex : un enfant légitime) ;
– Conforme à la loi, légal ;
– Conforme à la Constitution ou aux traditions politiques (ex : un gouvernement légitime) ;
– Conforme à l’équité, à la morale, à la raison ;
– Justifié, bien-fondé (ex : une inquiétude légitime).

La légitimité est, donc, selon la définition du dictionnaire le Petit Larousse, « la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité ».

Plus clairement, LA LEGITIMITE est la capacité d’une personne ou d’un groupe à faire admettre sa domination et son autorité sur les membres d’une communauté ou d’une société.

La légitimité ne se fonde pas uniquement sur le droit, mais peut mettre en œuvre différents critères comme le sexe, l’âge, les origines, la tradition, la richesse, le statut, les titres, les appuis, la force, la connaissance, l’expertise, etc.

La légitimité est donc différente de la légalité.

Ainsi, certains problèmes d’équité ne peuvent être traités efficacement dans le cadre strict du droit. Réciproquement, le droit peut, dans certains cas, comporter des effets secondaires injustes.

On se rend compte, alors, que la légitimité a un sens plus large que la légalité.
La légitimité d’actions politiques sortant de la légalité (désobéissance civile, révolution, terrorisme, coup d’Etat, etc.) peut devenir, et est même devenue au Gabon, l’un des enjeux du débat politique.

La portée factuelle d’un tel débat conduit à dévisager le problème du fondement de la légitimité en général, tout en expliquant les types de légitimité, et, partant, celui plus spécifique du principe de la légitimité du mode de recrutement des Sénateurs, notamment ceux qui viendraient, comme au Gabon, à être nommés, alors qu’on était habitués à leur élection au suffrage indirect déjà controversé.

– Les fondements de la légitimité en général et les types de légitimité

Des fondements de la légitimité

Il existe, en principe, trois raisons internes qui justifient la domination, l’autorité. En conséquence, trois fondements sont reconnus à la légitimité : l’autorité des us et coutumes, le charisme et la légalité.

1°) – L’autorité tirée des us et coutumes

La légitimité est tirée de la sanctification, par leur validité immémoriale et par l’habitude enracinée en l’homme de les respecter, des us et coutumes. Tel est le pouvoir traditionnel que le patriarche ou le seigneur terrien exerçait autrefois.

2°) – L’autorité fondée le charisme

Le charisme, c’est la grâce personnelle et extraordinaire d’un individu qui se caractérise par le dévouement personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en raison de qualités prodigieuses, de l’héroïsme ou d’autres particularités exemplaires qui font le chef.

C’est là le pouvoir charismatique que le prophète exerçait ou, dans le domaine politique, le chef de guerre élu, le souverain plébiscité ou le chef d’un parti politique.

3°) – L’autorité qui s’impose en vertu de la légalité.

La légitimité nait de la croyance issue d’un statut légal et d’une compétence fondée sur des règles établies rationnellement. L’autorité est, ici, est fondée sur l’obéissance rattachée des devoirs conformes au statut établi par la loi.

Des types de légitimité

L’économiste et sociologue allemand Max Weber (1864-1920) distingue plusieurs types de dominations vues comme socialement légitimes, puisque découlant de la reconnaissance sociale : la légitimité charismatique, la légitimité traditionnelle et la légitimité rationnelle ou légale.

1°) – La légitimité charismatique

Elle est liée à une autorité exceptionnelle. Dans la domination charismatique, la légitimité vient du prestige social attribué à un individu ou une institution, ou de l’héroïsme qu’on lui reconnaît dans la société. C’est le cas des héros, prophètes ou grands tribuns.

2°) – La légitimité traditionnelle

Cette légitimité est fondée sur une tradition considérée comme immémoriale et incontestable. Dans cette forme, la légitimité vient de l’importance socialement accordée aux habitudes, coutumes et traditions établis au cours du temps. Exemples : dynastie monarchique ou féodale, patriarches.

3°) – La légitimité rationnelle ou légale

Elle prendra sa source dans des règles impersonnelles et universelles.
Dans ce cas, l’autorité reconnue est liée à la fonction et non à la personne qui la représente. Elle est tirée du respect socialement portée à l’institution sociale qu’est le Droit. C’est le cas du respect de certaines autorités : gendarme, policier, magistrat, etc. dont les seuls attributs du pouvoir suffisent à inspirer la déférence.
Si les fondements de la légitimité en général et les types de légitimité sont désormais accessibles, il devient utile de se pencher sur la légitimité du mode de désignation des sénateurs et de ceux qui désignent.

– Légitimité du mode de désignation des sénateurs

1°) – Principe de la légitimité du mode de désignation et de ceux qui désignent

La légitimité politique s’acquiert de manière démocratique. Elle est, en principe, issue d’une élection qui s’est déroulée de manière démocratique, c’est-à-dire respectant les critères constitutionnels et légaux prévus en la matière. L’élection peut être directe ou indirecte.

La légitimité tirée d’une élection s’explique par le système de la démocratie représentative.
La démocratie représentative est un système politique dans lequel on reconnaît à une assemblée restreinte le droit de représenter un peuple, une nation ou une communauté. La volonté des citoyens s’exprime à travers des représentants qui établissent les lois (pouvoir législatif) et les font appliquer (pouvoir exécutif) sous le contrôle du pouvoir judiciaire.

Dans les démocraties représentatives contemporaines, ces représentants sont élus. Cela implique aussi que chaque élu représente, aussi bien à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat, l’ensemble des citoyens, c’est-à-dire la Nation et non pas seulement ses électeurs.

Le régime représentatif est apparu historiquement dans le cadre de la souveraineté nationale. La nation étant une abstraction, sa volonté ne peut être exprimée que par des individus qui parleront en son nom. C’est l’un des rôles des représentants élus qui tirent, d’ailleurs, leur légitimité du vote des électeurs, y compris dans le cadre des élections indirectes. Le Président de la République Gabonaise, au cas particulier, puise sa légitimité de son élection au suffrage universel direct.

Quant aux modes de désignation des élus, ils fondent leur raison d’être à partir des textes constitutionnels et légaux. Dans ce sens, la Constitution de la République gabonaise, dans la version de 2018, précise en son article 4 nouveau que « Le suffrage est universel, égal et secret. Il peut être direct ou indirect, dans les conditions prévues par la Constitution ou par la loi. ».

C’est de cette même Constitution que le Président de la République déduit ses pouvoirs de nomination aux emplois civils et militaires, ainsi qu’aux fonctions de vice-Président de la République ; tout comme il y puisera, désormais, son pouvoir de nomination des sénateurs.

Ceci est-il une particularité du GABON ?

2°) – La diversité des pratiques dans le mode de désignation des sénateurs

À la différence des Assemblées Nationales, toutes bâties à peu de choses près sur le même modèle, le développement des secondes chambres ne s’opère pas à partir d’un standard unique.

Le bicamérisme s’accommode, au contraire, d’un certain foisonnement institutionnel, exprimant chaque fois l’identité du pays et son génie institutionnel propre. Ainsi, le mode de recrutement des membres (leur élection ou leur désignation par un procédé autre qu’électif) est une source de différenciation nette entre les premières et les secondes chambres.

Si le suffrage universel direct constitue la norme en matière de désignation des assemblées nationales, les règles de composition des chambres hautes (Sénats) présentent, en revanche, une diversité importante qui ne semble pas devoir se fondre dans un modèle dominant.

Les Sénats sont intégralement élus au suffrage universel dans 40% des cas, selon un mode de scrutin qui peut être soit proportionnel, soit majoritaire, soit mixte (ce dernier cas se retrouvant notamment en Espagne, en France ou au Japon).

Quand elles ne sont pas intégralement élues, le cas le plus fréquent (25%) est que les chambres hautes soient composées pour une part de membres élus et pour une part de membres nommés. C’est le cas par exemple en BELGIQUE, en IRLANDE et en ITALIE.
Généralement, la proportion de sénateurs élus est nettement supérieure à celle des sénateurs nommés.

Il existe, également, un nombre significatif de chambres hautes intégralement nommées : ALLEMAGNE, BOSNIE-HERZEGOVINE, CANADA, FEDERATION DE RUSSIE ET YEMEN.

L’autorité de nomination est, selon le cas, le Président de la République du pays, ou son Premier ministre, ou encore le Gouverneur général. Cela peut également être le Gouvernement et/ou l’assemblée d’un Etat fédéré ou d’une province (Russie, Allemagne, Afrique du sud, …).

On doit noter que la nomination des membres des secondes chambres n’est pas forcément synonyme de déficit démocratique.
En outre, l’autorité de nomination est parfois investie d’une authentique légitimité démocratique. C’est le cas par exemple lorsqu’il s’agit d’un Président ou d’une assemblée élue au suffrage universel direct.

Outre ces deux grands mécanismes de désignation que sont l’élection et la nomination, d’autres règles interviennent parfois dans la composition des secondes chambres, quoi que de manière plus marginale.

On peut citer LA REGLE DE L’APPARTENANCE DE DROIT.
Cette dernière peut être la conséquence de fonctions antérieurement exercées. Elle peut également correspondre à une situation statutaire (pairs héréditaires du Royaume-Uni). C’est le cas, également de la République Démocratique du Congo où les anciens Présidents de la République sont des sénateurs à vie.

Promulguée le 26 juillet 2018, la loi sur le statut des anciens Présidents de la République élus, prévoit qu’en sus de sa qualité de Sénateur à vie, avec tous les avantagés liés à cette dignité (pension spéciale, allocation annuelle, soins de santé, rente de survie, rente d’orphelin, habitation décente, cinq véhicules, service de sécurité, etc.), il est réputé inattaquable en justice pour tous les actes commis dans l’exercice de ses fonctions.

Pour tout acte posé en dehors de ses fonctions de Chef d’Etat, il ne pourrait être poursuivi en justice qu’après l’approbation des deux tiers des membres du Parlement réuni en Congrès.

Parmi les autres mécanismes de recrutement des sénateurs, on peut également citer LA REGLE DE COOPTATION, qui, en complément d’autres procédures de désignation, se retrouve au BURUNDI (des sénateurs supplémentaires peuvent être cooptés de manière à respecter la répartition paritaire Hutu-Tutsi et le quota de 30% de femmes) et en BELGIQUE (où les 50 membres du Sénat désignés par les parlementaires des entités fédérées cooptent 10 autres sénateurs, 6 néerlandophones et 4 francophones).

COMME ON LE VOIT, LE GABON N’EST, DONC, PAS UN PRECURSEUR AVENTURIER EN LA MATIERE.

En conclusion, la légitimité repose sur une autorité fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d’un groupe à le dominer et à conduire sa destinée.

Celle des membres du Sénat s’acquiert, selon les pays, par l’élection, la nomination, l’appartenance de droit, la cooptation ou par tout autre procédé inscrit dans la Constitution et dans les lois du pays.

A cet égard, le Président de la République Gabonaise, élu au suffrage universel direct, détient toute la légitimité populaire nécessaire pour désigner les sénateurs à travers un procédé constitutionnel qui sera applicable dès qu’il aura été validé par les deux chambres du Parlement dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle.

C’est le moment d’interpeller ceux qui considéraient que nommer des Sénateurs est antidémocratique et, en même temps, de féliciter ceux qui, comme le Secrétaire Général du PDG Éric DODO BOUNGUENDZA, ont très tôt compris la pertinence et la portée de la révision constitutionnelle qui se profile à l’horizon.

Même lorsqu’on ne partage pas la ligne politique du Parti au pouvoir, on peut néanmoins chercher à comprendre ses actes avant de les juger.

Tout compte fait, cette querelle sur la légitimité des Sénateurs nommés par le Président de la République a-t-elle lieu d’être ?

En toute circonstance, il faut tout faire pour que l’émotion ne dépasse pas la raison.

Camarade Camille LENDEME
Responsable des études et des statistiques au Centre d’études politiques – Secrétariat Exécutif du PDG.