Une chronique de Djimadoum Mandekor, économiste et ancien Directeur au Siège de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) en charge de la mise en œuvre de la politique monétaire.

Le Comité Ministériel de l’Union Monétaire de l’Afrique Centrale (UMAC), une des deux composantes de la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), a tenu sa dernière session le 6 octobre 2022 mais le communiqué de presse relatif à cette rencontre n’est jusqu’à présent pas encore publié, alors que celui concernant la séance du Conseil d’Administration de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), organisée la veille, l’a déjà été, sans doute parce qu’il rapportait l’approbation par cette instance de la finalisation du processus récemment décrié du recrutement des cadres supérieurs de cette institution, en recommandant notamment l’application du critère de mérite. La position non motivée du Conseil d’administration sur une question porteuse de risque élevé de réputation pour la BEAC, malgré l’avis préalable défavorable de la Direction générale du Contrôle Général, son organe technique, et le démenti du cabinet chargé du processus sur le caractère partiel de son intervention, fixé dans son contrat, et non sur toutes ses phases comme présenté officiellement par les dirigeants de la banque centrale, reposerait, entre autres, sur l’argument de la jurisprudence constituée par de recrutements biaisés réalisés par des membres des gouvernements antérieurs de la BEAC.

Ce refus apparent de de diffusion du communiqué de presse consécutif à la réunion du Comité Ministériel proviendrait du rejet de la décision dudit Comité de suspendre le processus de recrutement évoqué et son audit par un cabinet d’audit extérieur, décision qui aurait été unanimement prise par les Ministres représentant les six Etats membres (Cameroun, RCA, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad). Il est symptomatique du faible attachement des dirigeants actuels et récents de la banque centrale de la CEMAC au respect des bonnes règles et pratiques suivies par les institutions de cette envergure.

Ceci montre une fois de plus l’engluement profond de l’institution dans les eaux troubles de la méconnaissance volontaire ou non de ses propres règles et des standards internationaux, alors qu’elle était pendant longtemps considérée comme une structure phare de la CEMAC.
Le temps gagné dans la publication de ce communiqué de presse servirait peut-être à obtenir une intervention du Fonds Monétaire International (FMI) favorable au Gouverneur de la BEAC, réaction espérée par quelques cadres anonymes de la BEAC, cités par un journal international dédié à l’Afrique. Cette attente reposerait sur l’espoir de la réprobation de l’intrusion, prétendument coupable du Conseil d’Administration et, principalement du Comité Ministériel dans la gestion courante de l’institut d’émission sous-régional, violant ainsi, d’après eux, son indépendance. Or, même si le Comité Ministériel n’est pas stipulé parmi les organes de la BEAC, les Statuts de cette dernière font partie intégrante de la Convention de l’UMAC, texte qui place le Comité Ministériel comme structure faîtière de la Banque centrale communautaire.

En effet, après le scandale du Bureau de la BEAC à Paris en 2009, la défiance générale à l’égard des membres du gouvernement de cette institution a conduit à remettre la présidence du Conseil d’administration aux Ministres dirigeant à tour de rôle le Comité Ministériel, pendant une année, alors que dans la plupart des banques centrales elle est le fait des gouverneurs. L’entérinement par le Comité Ministériel de la position étonnante du Conseil d’Administration et de son Comité d’audit sur l’organisation largement insatisfaisante du processus du concours (népotisme, manipulation des résultats, etc.) aurait fortement surpris l’opinion publique tant sous-régionale qu’internationale, l’affaire du concours ayant été largement médiatisée par les dirigeants de la Banque eux-mêmes.
Le désaveu cinglant infligé par le Comité Ministériel, tout en jetant un doute sur la qualité et la crédibilité de la gouvernance globale de cette banque centrale, confirme l’inefficacité et l’inadaptation de ses dispositions règlementaires existantes. L’appel au secours adressé au FMI dans l’article cité plus haut, qui relève plus d’une manœuvre d’arrière-garde, est un vain effort pour étouffer une évaluation objective des faits dénoncés dans les médias par des cadres supérieurs de l’institution. Il offre néanmoins l’occasion de revenir sur cette notion d’indépendance des banques centrales comprise comme une licence générale accordée pour agir dans un laisser-faire débridé.

Il importe de souligner d’emblée que l’indépendance statutaire de la BEAC, concédée par les Etats membres, vise particulièrement, conformément aux bonnes pratiques des banques centrales, la gestion de la politique monétaire, sa mission fondamentale, afin de lui donner les moyens de réaliser son objectif de lutter contre l’inflation. A cet effet, un organe de décision spécialisé, le Comité de Politique Monétaire (CPM) a été instauré en 2008, chargé de formuler, notamment, les mesures et modalités de politique monétaire, ainsi que de définir les instruments nécessaires pour effectuer les opérations adéquates à l’atteinte du but convenu, responsabilités qui relevaient auparavant du Conseil d’administration. Le gouvernement actuel de la Banque, qui a pour fonction la mise en œuvre de la politique monétaire définie par le CPM, se targue de sa réforme du dispositif opérationnel de cette politique, dont l’application est pourtant imparfaite et peu efficace, comme reconnue par le FMI, pour présenter sa gestion d’ensemble comme indiscutable.

Dorénavant, le Conseil d’administration supervise et contrôle la gestion courante hors opérations monétaires, essentiellement de l’organisation de la circulation des billets et pièces de banque, du suivi des systèmes de paiement, etc., et des activités d’accompagnement au service notamment de l’accomplissement de l’objectif primordial dont la réalisation est confiée à la Banque centrale.
Comme le prévoit ses Statuts, l’indépendance de la BEAC est accordée en contrepartie d’obligations et contrôles définis par la Convention de l’UMAC et lesdits Statuts. C’est donc dans ce cadre qu’intervient le Comité Ministériel qui, entre autres, remplissant la fonction d’organe suprême de la BEAC, propose à la Conférence des Chefs d’Etat de la CEMAC la nomination des membres du gouvernement de la Banque et leur révocation, sous certaines conditions, entérine l’adoption et la modification des Statuts de la BEAC, approuve le budget, ratifie les comptes annuels, et agrée les codes d’éthique et de déontologie applicables aux membres des différents organes de la BEAC.
En rappel, les codes de déontologie et le dispositif d’audit ont été adoptés ou renforcés à l’occasion de la fixation des mesures de sauvegarde préconisées par le FMI en 2009 /2010 comme les conditionnalités de l’accès des pays de la CEMAC à ses ressources au moment du scandale du Bureau de la BEAC à Paris. A l’époque, les dirigeants concernés de la Banque centrale avaient été obligés à la démission.

Sur la question controversée du concours de recrutement où parmi les manquements relevés figure celui du respect des règles relatives aux conflits d’intérêt, l’intervention du Comité Ministériel est légitimée par son rôle de surveillance de l’application des codes évoqués, dont l’inobservation des clauses procède d’une faute professionnelle lourde d’après les Statuts. Le recours du Comité Ministériel à un cabinet d’audit externe, comme cela avait été le cas en 2009/2010, pour l’examen du processus du concours suivi, indique qu’il manifeste un fort soupçon d’un manque d’intégrité et d’une impartialité des membres des organes de contrôle et de décision de la BEAC (Conseil d’administration, Comité d’audit, Collège des censeurs) dans l’exercice de leurs diverses fonctions, alors que les Statuts, dont ces derniers semblent percevoir les dispositions comme plus théoriques que normatives, leurs demandent d’éviter même les situations « d’apparence de conflits d’intérêt ». La France, présente dans ces instances, ne semble pas se démarquer de l’application minimaliste et sélective des Statuts de cette banque centrale.

Au regard des nombreuses défaillances constatées dans la mise en œuvre du dispositif réglementaire de la Banque (Statuts, codes de déontologie, charte du Comité d’audit, charte de l’audit interne, règlement intérieur du Gouvernement de la Banque et du Conseil, Statuts du personnel, etc.), il s’avère impérieux de le revoir profondément. Pour espérer garantir un meilleur fonctionnement de la BEAC afin de la mettre réellement au service de nos économies, au-delà d’une révision des règles institutionnelles et de gouvernance imposant une plus forte obligation de rendre compte et un droit d’alerte élargi aux citoyens, compte tenu de la propension de ces dirigeants à imiter certains responsables politiques de nos pays qui considèrent que la « Constitution n’est ni la Bible ni le Coran », il est crucial d’instaurer des mécanismes de sélection et de désignation des membres du gouvernement de la Banque et de ses organes de gestion qui soient transparents, non clientélistes et non complaisants. En outre, la nomination d’administrateurs ne provenant de préférence pas des administrations publiques et ayant un nombre de mandats limités à deux romprait les risques de collusion entre eux sur leurs intérêts personnels. En effet, plusieurs administrateurs actuels sont, chacun, d’un trait ou en cumul, en poste depuis plus de 12 ans, avec l’un d’entre eux ayant dépassé 20 ans, alors qu’ils sont très souvent apparentés ou alliés politiques des membres du gouvernement de la BEAC.

Au vu de l’atmosphère délétère transpirant actuellement de la BEAC, marquée notamment par la fin de mandat de quatre des six membres du gouvernement, depuis septembre 2022, et l’attente de prise de fonction de quatre nouveaux directeurs centraux nommés depuis le 1er juillet courant, à cause principalement du maintien en poste du Directeur des Ressources humaines sortant, important protagoniste de l’affaire du concours ayant atteint l’âge de la retraite depuis quatre ans, certaines mesures de réforme suggérées devraient être adoptées le plus tôt possible afin de remettre la BEAC à flot.

Par DJIMADOUM MANDEKORE

conomiste (DEA à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et diplômé de l’IEP-Paris), retraité, ancien Directeur au siège de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC) à Yaoundé (Cameroun), en charge de la mise en œuvre de la politique monétaire.