La transhumance en Centrafrique et sa collaboration avec les groupes armés est un sujet d’une importance capitale car elle fait partie des facteurs à l’origine des conflits frontaliers qui ont un impact considérable sur le plan national à travers les affrontements des différentes communautés.

C’est à la fin du 20ème siècle, début 21ème siècle que ce phénomène observé au Nigéria et au Soudan va s’étendre graduellement en Centrafrique. Cette question bien que n’étant pas encore inscrite dans le cadre juridique de la CEEAC, a vu la participation de la MICOPAX I. Cette première Mission de consolidation de la paix de la Force multinationale de l’Afrique centrale sous l’égide du COPAX et donc de la CEEAC a aidé le gouvernement centrafricain à résoudre ce conflit opposant les bergers tchadiens aux combattants de l’APRD de Jean Jacques Démafouth en 2010. En effet, les bergers tchadiens accusaient ce groupe armé du nord-ouest d’être responsable de la mort de leurs vaches en novembre 2010.

Cette transhumance frontalière instrumentalisée par les chefs rebelles organise la criminalité transfrontalière. Elle est utilisée comme un vecteur de terrorisme et pour le freiner, la CEEAC est dans le processus de la création d’un cadre juridique communautaire pour encadrer cette activité qui ne connait pas de limites frontalières et avec les changements climatiques, le grand élevage dans le sahel est entrain de muter vers le subsaharien au fond des forêts et l’extrémisme violent qui utilise l’islam organise la criminalité frontalière en mettant en avant la violence et développe des conflits communautaires entre les agriculteurs et les éleveurs.

Ce problème de pastoralisme au nord-ouest de la frontière entre le Tchad et la RCA, est beaucoup utilisé ou instrumentalisé par deux figures : Miskine et Baba Ladé. Ces deux acteurs sont originaires du Tchad et ont fui leur pays pour s’installer dans les frontières où se trouvent les peuls Mbororo. Thierry Vircoulon explique que « L’ensemble de ces évolutions explique le rôle spécial qu’une population minoritaire en Centrafrique, les Peuls Mbororo, joue dans le conflit centrafricain. Chassés par les groupes anti-balaka en 2013/2014, ces éleveurs nomades sont revenus sous la protection de leurs milices et s’efforcent de reprendre le contrôle des zones pastorales qui sont essentielles pour leur bétail et donc pour leur survie. La milicianisation des Mbororo et leur implication dans le banditisme rural sont les symptômes d’un profond désordre social et économique » (T. Vircoulon, 2021, p : 4).

Par ailleurs, nous avons deux sortes de transhumance : la petite et la grande.

La petite transhumance est pratiquée par les éleveurs centrafricains sur des distances relativement courtes entre les préfectures ou à l’intérieur d’une même préfecture. La grande transhumance quant à elle, est pratiquée pendant la saison sèche (novembre-mai) par des éleveurs venus du Cameroun, Tchad, Soudan et Sud-Soudan. Ces éleveurs effectuent des déplacements de grande amplitude selon des trajectoires appelées « couloirs de transhumance ». Ils sont à la recherche de pâturages pour des troupeaux qui comptent plusieurs milliers de têtes.

Au niveau de la RCA, il y a une classification d’éleveurs en trois groupes. Nous avons le premier groupe appelés « éleveurs sédentaires » composés de peuls et d’autochtones identifiés comme des agro-éleveurs avec comme principale activité l’agriculture. Ils ont des bovins pour complément d’activité.
Le deuxième groupe est constitué des éleveurs qui font la petite transhumance (transhumants internes). Ce sont des Peuls qui ont des bovins, caprins et ovins.
Le troisième groupe est identifié comme des éleveurs qui font la grande transhumance. Ce sont des étrangers qui viennent des pays frontaliers cités précédemment et sont souvent payés par des propriétaires pour convoyer leur bétail (G.F. Ankogui-Mpoko, T. Vircoulon, 2018, p.7-8)

Cette activité malheureusement a toujours été une source de conflit. Avant 2012, le pastoralisme était déjà depuis plusieurs années une source de conflit en zone rurale, particulièrement entre éleveurs et agriculteurs. Ces deux groupes sont toujours en perpétuel et compétition dans l’utilisation des ressources foncières. Il n’est pas question d’un manque de terre mais d’une concurrence pour les mêmes espaces. Ces querelles traditionnelles entre éleveurs et agriculteurs portaient souvent sur la destruction des cultures par les vaches, les feux de brousse déclenchés par les éleveurs et les vols de bétail par les agriculteurs pour consommation ou commercialisation. Ces problèmes se réglaient par des méthodes dites traditionnelles. Et lorsque le consensus n’était pas trouvé, on faisait recours aux autorités administratives.
Ceci montre effectivement que bien avant 2012, la transhumance était déjà synonyme de conflit en RCA avec la violence exercée sur les agriculteurs, entre éleveurs (vols) et sur les éleveurs par les zarguinas composés de peuls et d’arabes tchadiens. Face à l’incapacité du gouvernement centrafricain de sécuriser la région, des communautés d’auto-défense se sont créées par des notables peuls avec des soutiens logistiques ponctuels de la présidence à l’époque de Patassé et de Bozizé. En 2013, ces peuls éleveurs ont malheureusement été associés à l’ex Séléka.

Carte : Dynamique pastorale de 1920 à 2013

En parlant de l’instrumentalisation des éleveurs par les chefs des groupes rebelles transfrontaliers et la responsabilité de l’état centrafricain, il faut dire qu’aujourd’hui, les communautés qui vivaient ensemble sont devenues résilientes les unes envers les autres avec des accusations mutuelles.

Cette dichotomie s’est accentuée à cause du manque d’accompagnement de l’Etat dans la mise en place des politiques de gouvernance de cette activité. Ainsi, les conflits asymétriques utilisés par Miskine et Baba Ladé ont atteint leur sommet depuis 2010 dans le domaine du pastoralisme. Ces personnes sont nées dans les frontières, ceci les réconforte à collaborer avec les peuls et utilisent le pastoralisme pour leurs ambitions. D’un autre côté, pour se défendre du grand banditisme frontalier, plusieurs bergers se sont militarisés pour se protéger des groupes armes à la frontière Tchad-RCA. D’autres par contre travaillent de connivence avec les groupes armés pour contribuer à la circulation des armes et l’exploitation des ressources en toute impunité dans des zones devenues non-droits. Dans ces violences, les éleveurs sont à la fois acteurs et victimes.

Considérant que le conflit impose une réorganisation des espaces pastoraux qui se répartissent désormais selon les aires d’influence des groupes armés, il vient remettre en cause l’ensemble du système pastoral au niveau de la frontière Tchado-Centrafricaine. La Centrafrique pour preuve a connu des bouleversements profonds dans l’élevage qui constitue un secteur d’activité le plus à risque et est devenu une source de conflit au même titre que l’exploitation du diamant. Les violences dans la zone frontalière sont corrélées au rythme de la présence du bétail et des éleveurs qui sont à la fois acteurs et victimes des exactions.

La militarisation et la politisation de l’élevage soulève une grande interrogation quant à l’avenir de la situation sécuritaire à l’échelle sous-régionale. C’est dans ce contexte que les régions frontalières sont occupées par des mouvements rebelles dont leurs leaders sont des bergers. Mais si le Tchad et la RCA veulent une solution définitive, il ne faudra pas que les marges frontalières puissent être un sanctuaire pour les groupes armés et les bergers armés étrangers avec un enjeu qui est celui de l’accès et le contrôle des ressources pastorales. Il faut aussi noter que la sécurité impliquerait d’avoir une autre vision de la géographie de l’élevage dans un dynamisme sous-régionale.

Du 10 au 12 juillet 2023 plusieurs organisations sous-régionales (CEEAC, CEDEAO, IGAD, COMIFAC, G5 Sahel etc.) prendront part à la Deuxième Conférence Internationale des Ministres qui a pour thème la Transhumance transfrontalière Nexus : transhumance, aires protégés et ressources naturelles, développement, paix et sécurité à Yaoundé au Cameroun. Le but de cette rencontre étant de trouver des consensus politico-stratégiques, diplomatiques pour l’encadrement des mouvements de transhumance transfrontalière et la recherche des financements pour aider les pays concernés par cette activité (RCA, Cameroun, RDC, Tchad, Soudan, Soudan du Sud, Niger et Nigéria), la CEEAC doit lors de cette rencontre, faire les propositions aux autres organisations et pays à :

•Mettre un pool d’excellence de l’Afrique Centrale pour étudier et maitriser la gestion de tous les couloirs de transhumance
•Développer l’éco-sécurité et former les agents pour ce secteur
•Cartographier les couloirs de transhumance en Afrique Centrale
•Faire des vérifications pour l’identifier des bergers à la solde des groupes armés ou qui ont pour chef un leader d’un groupe armé étatique ou non-étatique et les désarmer
•Après démobilisation des bergers à la solde des groupes armés, enregistrer de façon journalière chaque berger et prendre des renseignements sur ses différentes activités. Le communiqué final de la XXIIIème Session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats de l’Afrique Centrale du 1er juillet 2023 qui a insisté sur la nécessité de l’Afrique Centrale à contribuer aux efforts de maintien de la paix et de la sécurité sur toutes ses formes et éradiquer les cycles de menaces asymétriques vient soutenir ces recommandations.

Ngningone Ateme Marie-Claude. Diplômée en Histoire des Relations Internationales, Spécialité Affaires politiques/Gouvernance/Paix et sécurité. Expert en Prévention et Gestion des conflits armés. Directeur Adjoint du GERIAC et Chercheur au Centre de Recherche en Histoire et Archéologie (CREHA)Email : atemenamc@yahoo.fr/ +24162829867/077697723

Ngningone Ateme Marie-Claude. Diplômée en Histoire des Relations Internationales, Spécialité Affaires politiques/Gouvernance/Paix et sécurité. Expert en Prévention et Gestion des conflits armés. Directeur Adjoint du GERIAC et Chercheur au Centre de Recherche en Histoire et Archéologie (CREHA)
Email : atemenamc@yahoo.fr/ +24162829867/077697723

Référence bibliographique
C.U Joffrey, 2021, « la politique de sécurité économique de l’Etat », Constructif, N°58, pp. 43-46.
G.F. Ankogui-Mpoko, T. Vircoulon, 2018, La transhumance en Centrafrique : une analyse multidimensionnelle, in services funded by the European Union, p.7-8.
T. Vircoulon, 2021, « Les Peuls Mbororo dans le conflit centrafricain, », Etudes de l’IFRI.