Convergence Afrique 
Kinshasa — Correspondance spéciale

C’est un retournement politique d’une rare intensité dans les arcanes du pouvoir congolais. Dimanche 15 juin, l’Assemblée nationale de la République démocratique du Congo (RDC) a voté massivement en faveur de la levée de l’immunité parlementaire du ministre d’État en charge de la Justice, Constant Mutamba. Une décision qui ouvre la voie à des poursuites judiciaires contre celui qui, quelques mois plus tôt encore, se présentait en fer de lance de la lutte contre l’impunité et la corruption.

Le glaive de la justice se retourne

Le ministre Mutamba, 36 ans, était l’un des visages les plus médiatiques du gouvernement congolais. Fondateur du parti dynamique Nouvelle Génération pour l’Émergence du Congo (NOGEC), et longtemps perçu comme un jeune technocrate ambitieux, il avait pris la tête d’une offensive judiciaire spectaculaire dirigée contre l’ancien président Joseph Kabila et les chefs du mouvement rebelle M23.

Mais en coulisses, les allégations de mauvaise gestion et de détournements de fonds commençaient à s’accumuler. Le Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde Mambu, a fini par adresser une requête officielle à l’Assemblée, sollicitant l’autorisation de poursuites contre Mutamba. Le vote de la plénière ne laisse guère place au doute : 322 députés sur 363 présents ont dit oui à l’ouverture d’une instruction judiciaire.

Accusation lourde : détournement des deniers publics

Dans une correspondance adressée à la Direction générale de migration (DGM) et datée du 16 juin, le procureur Mvonde notifie l’interdiction formelle faite à Constant Mutamba de quitter Kinshasa. Une mesure de restriction sévère, mais conforme à l’article 83 de la loi organique n°13/010 régissant la procédure devant la Cour de cassation.

Le ministre est formellement poursuivi pour des faits de détournement de deniers publics, conformément à l’article 145 du Code pénal congolais. Une infraction passible de lourdes peines, et dont la charge symbolique est d’autant plus forte qu’elle vise le chef même du ministère censé faire respecter la légalité et l’éthique publique.

Entre règlements de comptes et assainissement politique

L’affaire Mutamba résonne comme un avertissement dans les couloirs du pouvoir à Kinshasa. D’aucuns y voient la preuve d’un processus de reddition des comptes enfin en marche, où même les membres du gouvernement ne sont plus à l’abri des poursuites. D’autres, plus sceptiques, y lisent les signes d’un règlement de comptes politique dans un contexte de recomposition post-électorale, où les ambitions se heurtent et les alliances volent en éclats.

« Cette mise en accusation n’est pas une victoire de la justice, c’est une guerre interne », glisse un député de l’opposition, sous couvert d’anonymat. «Mutamba avait pris trop de place, il s’est fait des ennemis. »

Une image écornée, un avenir incertain

Pour le moment, le ministre Mutamba n’a pas encore fait de déclaration publique. Son entourage évoque un «complot politique » orchestré par des factions hostiles au sein du régime. Mais sa marge de manœuvre semble étroite. La justice suit désormais son cours, et les projecteurs, qui l’avaient célébré comme le jeune prodige de la gouvernance et de la rigueur, exposent aujourd’hui les ombres de sa gestion.

De justicier à accusé, le parcours de Constant Mutamba rappelle que dans le théâtre politique congolais, les rôles peuvent s’inverser avec une fulgurance déconcertante.

Convergence Afrique suit de près l’évolution de cette affaire. Prochain épisode : l’audition du ministre devant la Cour de cassation.