Il était difficile de penser un seul instant, au regard de son dispositif militaire et sécuritaire positionné en Afrique de l’Ouest, au regard de la menace terroriste qui sévit dans cette zone, de la situation politique extrêmement tendue dans cette partie du continent noir que la France ne pouvait ne pas être au courant du coup d’état qui a eu lieu au Burkina Faso dimanche dernier et qui était en gestation depuis septembre 2021.

Par conséquent, les raisons fallacieuses qui sont servies ça et là, liant le renversement du président du Faso à sa prise de position sur la situation au Mali, ne peuvent nullement convaincre les personnes jugées sérieuses et un minimum instruites. La réflexion mérite alors d’être un peu plus poussée en se posant la question de savoir: pourquoi la France qui savait a t’elle laissé faire?
En effet, non seulement Marc Rock Kaboré a récemment été réélu démocratiquement. Donc, il n’avait pas un problème de légitimité. Mais en plus, il a soutenu la position de la CEDEAO dans la crise malienne. C’est-à-dire la même position que la France. Il devrait alors en principe jouir d’un soutien ou d’une protection sans équivoque de la France qui savait ce qui se tramait. Malheureusement, cela n’a pas été le cas.

Deux hypothèses méritent alors d’être confrontées: soit la France ne veut plus se mêler des affaires africaines et laisser les africains eux-mêmes gérer leurs problèmes. Soit elle ne partage pas la gouvernance politique des affaires du régime de Marc Rock Kaboré.
Si la première hypothèse est contestée par les déclarations diverses et nombreuses des autorités françaises sur la situation au Mali et bien d’autres pays africains, c’est plutôt vers la deuxième hypothèse qu’il convient de se poser. Aussi, on ne peut que se demander, quel est le sujet qui aurait fâché le président burkinabè déchu et Paris?

Nombreux sont ceux qui misent sur le dossier et les révélations touchant à la mort de Thomas Sankara où certaines autorités africaines et françaises de l’époque mitterrandienne seraient grandement impliquées. D’ailleurs la libération immédiate de Gilbert Dienderé par les putschistes, après le coup d’état réalisé, participerait de cette logique de protéger ceux qui en savent un peu trop sur cette affaire sulfureuse.
La France se souvient de la récente crise qu’elle a eu avec l’Algérie au sujet de leur passé commun. Elle ne peut oublier le cas rwandais où l’explosion du génocide lui a été en grande partie imputée. Fallait-il allumer un foyer de tension supplémentaire ou susciter un détachement légitime avec une ancienne colonie à la veille de son élection présidentielle française? Certainement pas.

Aujourd’hui, la France ne peut plus se permettre de prendre le moindre risque politique qui mettrait à mal son passé glorieux ou qui ne participerait pas à sa grandeur après tous les coups durs récemment reçus aussi bien des américains, des britanniques que des australiens. Il était alors hors de question que les africains s’y ajoutèrent.

C’est pourquoi, nous continuons de dire qu’en optant pour une résidence à Londres, puis une adhésion au Commonwealth, une virée de mauvais goût en Russie, des jugements sévères contre les entreprises françaises au Gabon, membres du Medef, les détentions de citoyens français jugées arbitraires en plus dans des conditions dites inhumaines, le clan Ali Bongo s’est inutilement mis en difficulté avec Paris.

Au mieux, cette frange du régime, essentiellement constituée de collégiens, sera neutralisée à temps pour sereinement accompagner Ali Bongo Ondimba jusqu’en 2023. Au pire il leurs sera tout simplement présenté la porte de sortie ce d’autant plus que les révélations sur leur gestion du covid-19 ne cessent d’alimenter les frustrations populaires et agacer les bailleurs de fond qui se sentent abusés. Le modèle sud-africain sur les sanctions liées aux détournements des fonds covid-19 paru dans le Figaro, ce journal français, pourrait bien faire école.
La France qui n’a jamais caché sa philosophie politique, profondément basée sur la doctrine gaulliste, n’agit qu’au gré de ses intérêts. Quoi de plus normal dans un univers concurrentiel aussi exigeant? Il revient donc aux autres pays de savoir manœuvrer pour pouvoir gagner leur émancipation et développer leur territoire.

A man holds a portait of Lt. Col. Paul Henri Sandaogo Damiba who has taken the reins of the country in Ouagadougou Tuesday Jan. 25, 2022. people took to the streets in Burkina Faso to rally in support of the new military junta that ousted democratically elected President Roch Marc Christian Kabore and seized control of the country.(AP Photo/Sophie Garcia)

En juin 2009, Jean Eyeghe Ndong disait devant la dépouille d’Omar Bongo Ondimba et un parterre de personnalités venues du monde entier pour lui dire adieu: « comparaison n’est pas raison, mais l’expérience des autres peut constituer un bon cas d’école « . C’est dire que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Qu’en déplaisent à ceux qui font un complexe public devant cette capacité à consulter ou à interroger l’histoire politique française pour comprendre le Gabon et entrevoir son avenir politique. Ce d’autant plus que notre modèle institutionnel et constitutionnel n’est qu’une pâle copie du modèle français.

Si Marc Rock Kaboré avait bien étudié les méthodes d’agir de la France ou de sa géopolitique en Afrique qu’il aurait tout simplement puisé, ne serait-ce que dans le film documentaire « Françafrique, 50 ans sous le sceau du secret » de Patrick Benquet, nul doute qu’il aurait évité la faute politique qui l’a conduit hors du pouvoir. Donc, que ceux qui ont des oreilles entendent…La France sait toujours, mais…

Par Télesphore Obame Ngomo