Au sortir des indépendances, les pays africains ont émis le souhait de voir le continent formé une seule entité, une intégration continentale. Cette vision connait des difficultés dans sa matérialisation et c’est ainsi qu’ils vont juger utile d’établir des points de coopération entre les Etats. Toutefois, ne pouvant pas procéder directement à une intégration continentale, ils mettent en place les CERs à travers le continent, afin de favoriser un développement stratégique mais surtout la globalisation de l’Afrique. Cette vision se traduit par la signature d’une kyrielle d’accords et de programmes continentaux tel que le Traité d’Abuja de 1991 et l’Agenda 2063.

Avec pour objectif, l’élimination des « barrières entre les Etats qui la constituent. Les projets d’unification : la suppression progressive, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ainsi qu’aux droits de résidence et d’établissement ne vont pas suivre à la lettre. Malheureusement, nous constatons que ce qui est écrit n’est pas ce qui est dit et, la Guinée Equatoriale nous l’a prouvé le 31 octobre 2022 lorsque ses autorités ont fermé leurs frontières et lancé une vaste opération d’expulsion des étrangers en situation irrégulière. 52 camerounais en situation irrégulières, de façon volontaire, sont rentrés au Cameroun de peur de subir des actes d’agression et d’intimidation.
Malgré les orientations du traité d’Abuja, nous constatons, les CERs sont loin d’atteindre non seulement la vision communautaire mais aussi les objectifs. Tel est le cas de la CEEAC car son intégration a du mal à se concrétiser avec autant de barrières et de rejet. Malgré son cadre juridique, favorable à l’intégration entre les peuples, une certaine résilience est tout de même observée. Pourtant dans l’article 58 du traité révisé de la CEEAC il est noté : les Etats membres conviennent, conformément aux dispositifs du protocole relatif à la libre circulation et au droit d’établissement des ressortissants des Etats membres de la CEEAC, de faciliter les formalités relatives leur circulation, leur résidence et à leur établissement à l’intérieur de la communauté . Hormis cet article 58, il y en a d’autres qui viennent soutenir ce projet intégrateur des populations de la sous-région. Nous avons de ce fait, l’accord commercial régional dans lequel les Etats membres s’engagent à éliminer les droits de douane mais également d’élever le niveau de vie des populations, d’accroître et de maintenir la stabilité économique, de renforcer et de préserver les étroites relations pacifiques entre ses États membres.

Ce cadre juridique nous démontre combien de fois l’intégration des peuples qui constituent l’Afrique centrale encore appelés Afrocentraliens demeure une préoccupation pour les Chefs d’Etat de la sous-région. Un modèle d’intégration est alors à chercher.
La religion islamique, arme moralisatrice et intégratrice des peuples, peut-être une solution dans la mesure ou ceux constituant cette religion n’ont pas la notion de terre propre ou ancestrale, mais de lieu de partage de culture et de tradition. D’ailleurs, dans le cadre de la transhumance, il n’est plus à démontrer que ce sont les musulmans qui pratiquent plus cette activité. Dans cet optique, l’islam, peut devenir une source d’inspiration au projet intégrateur de cette sous-région Sachant bien que la CEEAC, peine à mettre en application sa libre circulation, l’établissement et la mobilité des travailleurs, dans l’effectivité de son intégration régionale, ne serait-il pas possible que le savoir détenu par l’islam puisse être un des éléments considérés comme solution dans la matérialisation de l’intégration en Afrique centrale ?
Depuis que la CEEAC a été mise en place, son projet d’intégration des peuples traine. Plusieurs Etats de la sous-région sont résilients face à la libre circulation des personnes et des biens, en plus de leur établissement temporaire ou définitive. Le Traité de la CEEAC signé à Libreville le 18 octobre 1983, avait pour ambition, non seulement d’approfondir la solidarité communautaire tout en respectant leur histoire, culture et tradition, mais également à participer au développement de la sous-région. Ce qui démontre que les questions d’intégration sont au cœur des intérêts des Chefs d’Etat. Cependant, depuis la mise en place de la CEEAC, cette institution reste en proie à des difficultés dans la mise en œuvre de son cadre juridique. Nonobstant les conférences des Chefs d’Etats, ainsi que plusieurs initiatives en matière d’intégration, il est à se demander ce qui bloque dans la mesure où nous savons que les Chefs d’Etat sont l’instance décisionnelle de la CEEAC. Cette résilience face à son frère de la communauté vient poser la question de savoir si les habitants de l’Afrique centrale sont en manque d’une identité collective. C’est cette résilience mal employée qui est le facteur déterminant des crises ou conflits inter et intraétatiques en Afrique centrale. La frontière du nord et du nord-est du Tchad en est la preuve de cette résilience avec les guerres des communautés. Voilà pourquoi l’historienne Marie Claude (M.C.

Ngningone Ateme, 2023) préconise de régler cette question avant de commencer à entamer le champ de la libre circulation en ces termes :
Nous ne pouvons pas parler des questions environnementales, de libre circulation sans mettre en avant la question relative à la paix et à la sécurité. Car sans ces deux notions, la communauté est déstructurée et/ou résiliente entre les différentes strates.

Ce propos vient interpeller la CEEAC à fédérer mentalement les peuples de sa communauté. La peur de vivre avec l’autre devient une source de conflits et donc de rejet. Il faut alors éduquer ce peuple, lui apprendre qu’il revient d’une souche. Aussi, l’histoire ne nous démontre-t-elle pas que nous sommes des peuples qui viennent d’ailleurs, en dehors des peuples autochtones, et chaque installation s’est faite de façon progressive. Des similitudes sont également observables avec les tributs, les clans, les généalogies et même dans plusieurs activités humaines. Ainsi, le substantif Afrocentralien est le bienvenu dans cette communauté. L’apprentissage de sa résilience face à tout élément non fédérateur doit rester sa préoccupation majeure et non celle face à son frère. Il faudrait que chacun dise qu’en tant qu’habitant de l’Afrique centrale, je me dois de respecter, d’aimer, d’accepter et de me retrouver en un autre habitant de cet espace. C’est en cela que consiste l’Afrocentrisme, une notion peut être nouvelle, mais elle a toujours été dans nos sociétés précoloniales. Des expressions telles que « tout sauf un équato guinéen » ; « espèce de Camerounais » ; « le gabonais est faible», constituent des facteurs à l’origine des conflits et donc ne méritent pas d’être prononcées ou simplement éradiquer de notre mémoire.

L’Afrocentalité étant une variété des caractéristiques de l’Afrocentralien, et, la culture islamique étant intégrée dans une partie des populations de l’Afrique centrale, la communauté doit étudier ou regarder comment cette culture peut apporter des éléments nouveaux pouvant casser des barrières. En effet, dans les onze (11) Etats qui constituent la CEEAC, se trouve une communauté musulmane organisée. Pour ce qui est du Gabon par exemple, nous avons le Conseil supérieur des Affaires Islamiques du Gabon (CSAIG) qui permet aux musulmans de participer à l’organisation de la Oumma . C’est une organisation de la communauté des musulmans, indépendamment de leur nationalité, de leur ethnie, de leurs liens sanguins et des pouvoirs politiques qui les gouvernements.
L’islam, à travers la Oumma favorise la circulation et l’établissement des personnes. Ce phénomène vient éliminer les frontières physiques. Ce qui amène ces derniers non seulement à pratiquer une fluide circulation entre les frères mais aussi à fortifier les rapports entre les croyants. Par cette présence de la Oumma, elle nous permet ne plus avoir peur de l’autre. Car, selon la conception de l’islam, l’autre est perçu comme le frère qui a été envoyé dans un autre pays. C’est dans ce sens que le Coran nous le rappelle:
Ô homme ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle. Nous vous avons divisés en races et en tribus avec des caractères distinctifs. Le plus méritant aux yeux d’Allah est le plus pieux. Allah est savant et bien informé (Sourate 49 :13).
L’islam, appel les humains à l’union dans le strict respect des spécificités de chacun. Etant de la même origine, les peuples peuvent aller au-delà des frontières. Cette culture est très pratiquée dans l’islam. Ceci a amené René Otayek a affirmé que :

La transnationalisation de l’islam est non seulement une pratique individuelle ou collective, des institutions, des réseaux politico-commerciaux de « civilisation matérielle » mais aussi de culture qui se construit au- delà des frontières.

L’Afrocentralien, quel que soit sa couleur de peau, sa langue, le lieu de son installation, est appelé à rejeter la division dans toutes ses formes car l’origine est la même. Et le Coran dit encore ce qui suit :
Rappelez-vous la grâce de Dieu envers vous. Lorsque vous étiez ennemis, il a rallié vos cœurs. Puis, par son bienfait, vous êtes devenus frères » (sourate 3 :103).
Ce verset est un conseil qui condamne la pratique de l’Afrocentraphobie, c’est-à-dire le rejet de l’Afrocentralien. Le vivre ensemble est préconisé pour l’épanouissement de chaque Afrocentralien. L’appartenance devient collective et donc une éradication plausible des barrières. Tous ces messages unificateurs, intégrateurs devraient être indéniablement pratiquer dans tous les domaines.

La philosophie islamique démontre que ce n’est ni le lien de sang, de clan, d’ethnie ou de nationalité qui doit nous caractériser, mais plutôt la fierté d’appartenir à cette sous-région et en plus des notions d’égalité, de solidarité et de fraternité. Ceci devrait en définitive être le leitmotiv de chaque Afrocentralien dans le but ultime de la nécessite de construction d’une identité commune.

Par Bignoumba Mbouzel Ahmed. Diplômée en Histoire des Relations Internationales, Spécialité Politiques islamiques. Expert de l’islam. Chercheur au Centre d’Etudes en Relations Internationales (CERI) et au Centre de Recherche en Histoire et Archéologie (CREHA)

Par Bignoumba Mbouzel Ahmed. Diplômée en Histoire des Relations Internationales, Spécialité Politiques islamiques. Expert de l’islam. Chercheur au Centre d’Etudes en Relations Internationales (CERI) et au Centre de Recherche en Histoire et Archéologie (CREHA)

Documents consultés
René Otayek, « Religion et globalisation : l’islam subsaharien à la conquête de nouveaux territoires », In Revue internationale et stratégique 2003/4 (n° 52), pages 51 à 65
• Coran
• Ngningone Ateme Marie-Claude, « Le COPAX : un organe aux enjeux sécuritaires complexes. Les attentes sous la présidence du Gabon 2023-2024 », 25 février 2023, Convergence Afrique : https : // convergenafrique.net//2023/02/25/copax-un-organe-aux-enjeux-sécuritaires-complexes-les-attentes-sous-la-presidence-du-gabon. Consulté le 26 février 2023.
• Traité révisé de la CEEAC du 18 décembre 2019.
• Traité d’Abuja de 1991.