Un tel effet papillon est inédit dans l’histoire des relations franco-africaines sous la cinquième république française. Emmanuel Macron, convoque cet après-midi, un conseil de défense et de sécurité nationale, suite au récent coup d’Etat militaire au Niger. Un battement d’aile dans une capitale africaine, devient un problème de sécurité nationale dans l’Hexagone. En 48 heures, les évènements qu’un certain lexique médiatique qualifiait au départ de «mouvement d’humeur », se sont mués en « tentative de coup d’Etat », finalement en « coup d’Etat ».

A quel benêt ferait-on croire qu’on prendrait une décision aussi grave, que celle de s’emparer du pouvoir d’Etat par les armes sur un « mouvement d’humeur» ? Pour la bonne intelligence des évènements, il faut le souligner certes pas pour s’en réjouir, ça ne pouvait être qu’une décision pensée, mûrie, planifiée.

Tétanisé, le sommet du pouvoir à Paris n’a pas cru devoir se ranger dès les premières heures de ce coup de force, à la réalité que lui imposait ce scénario catastrophe de sa présence résiduelle en Afrique. Comme je le laissai entendre dans une précédente réflexion, le «Niger n’est pas n’importe quel coin de la planète ». Pas seulement en raison de la base militaire française qu’il abrite, et tout aussi stratégique pour le reste de l’Europe que pour les Américains. Son très précieux uranium (qui n’est que la partie visible du « scandale géologique» nigérien), depuis son accession à l’indépendance, contribue à bon marché pour une part déterminante à l’approvisionnement et à «l’indépendance énergétique de la France », si chère au général de Gaulle ; donc aux performances de son économie et à la préservation de ses équilibres sociaux vitaux. Il ne faut pas perdre de vue que tout récemment, en mai 2023, ORANO (ex-AREVA), a signé avec le Niger une convention pour l’exploitation de la mine d’Uranium d’Imouraren jusqu’en 2040, estimée à 200.000 tonnes, la plus importante au monde. Dans un contexte géopolitique où la France, comme d’ailleurs l’Europe, se sont privées de l’Uranium russe et ne sont guère assurées à moyen terme des approvisionnements du Kazakhstan, pays satellite d’une Russie qui n’est probablement pas étrangère à ce qui se passe à Niamey, le Niger, en plus du Tchad, sont actuellement les seuls endroits en Afrique où la France ne doit pas ne pas être. Mais à quel prix ?

S’agissant justement du Tchad, la réponse est venue de Macron lorsque le 21 avril 2021, il a apporté son onction à la junte militaire au pouvoir. Ce jour-là, il a remisé dans les débarras de l’Elysée son fameux discours de Ouagadougou de 2017. Comme jamais en France avant sa présidence, comme avant lui les monarques conquérants Jules César, Alexandre le Grand, Napoléon Bonaparte, il a fait le déplacement de N’Djamena en 2021, torse bombé, pour marquer du sceau de son auguste personne et au nom d’une France redevenue impériale pour la circonstance et l’enjeu, son adoubement à un changement anticonstitutionnel de pouvoir par une junte qui répond de lui et non des Tchadiens, asphyxiant la légitime aspiration à la démocratie et à la dignité de tout un peuple.

Aujourd’hui, ses cris d’orfraie en Afrique en faveur de la démocratie ne sont plus audibles ni crédibles. Leur écho ne porte pas plus haut que les prédications solitaires de Jean Le Baptiste dans le désert. Et ce n’est pas le « sommet » Afrique-France de Montpellier, qui tenait davantage du cirque et du talk show (Un format de communication avec l’Afrique qu’il n’eût pas osé à Paris, Pékin, Washington ou Moscou), qui sera parvenu à restaurer le crédit que la parole officielle de la France en Afrique, déjà largement démonétisée avant Macron, venait encore de perdre à N’Djamena. En six années de magistrature suprême, Macron a impulsé la politique de la France en Afrique comme le banquier qu’il a été dans la vie civile, au cas par cas, à cheval sur les principes et les valeurs dont il s’est initialement prévalu.

Il n’y a pas de sentiment anti-français en Afrique. Mais un rejet massif d’une certaine France ; une certaine France dont une frange importante de son personnel diplomatique et politique demeure arc-bouté sur des schémas éculés et des œillères d’un monde qui n’existe plus, dans une Afrique nouvelle et en profonde mutation qui n’est plus celle de leurs pères. Ceux-là sont restés arrimés à une France que Senghor, sorti des camps nazis, dépeint de sa plume désabusée dans son recueil de poèmes «Hosties Noires », après le massacre à Thiaroye le 1er décembre 1944, des «tirailleurs sénégalais » qui venaient pourtant de combattre pour la libération de la France. Un certaine France, déplore Léopold Sedar Senghor, qui « donne de la main gauche ce qu’elle reprend de la main droite ».

AJM