Face à la fronde des compagnies pétrolières internationales et à la menace d’un gel de l’appui du FMI, la France réaffirme son appui à la politique de change de la BEAC. Un soutien stratégique, dans un bras de fer aux lourds enjeux économiques et géopolitiques pour l’Afrique centrale.

Paradoxal retour de balancier dans les relations monétaires entre la France et l’Afrique centrale. Alors que les États de la CEMAC (Cameroun, Gabon, Tchad, Congo, RCA et Guinée équatoriale) cherchent à renforcer leur souveraineté économique à travers le strict rapatriement des devises issues du secteur extractif, Paris s’affiche, cette fois, comme un allié inattendu.

Le 17 avril dernier, une réunion de haut niveau s’est tenue à Paris entre les ministres de l’Économie de la France, Éric Lombard, et de Guinée équatoriale, Iván Bacale Ebe Molina, en sa qualité de président du Comité ministériel de l’Union monétaire de l’Afrique centrale (UMAC). À l’ordre du jour : les « grands défis économiques et financiers » de la sous-région, et en toile de fond, un dossier brûlant – l’obligation faite aux compagnies pétrolières et minières de rapatrier les fonds RES (Rehabilitation, Environment and Site restoration), ces provisions destinées à restaurer les sites après exploitation.

Une ligne rouge pour la BEAC

Imposée par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), cette réglementation, renforcée en 2023, cristallise les tensions avec les majors du secteur. Ces dernières s’opposent farouchement à la signature des conventions de comptes séquestres, réclamant notamment que la BEAC renonce à son immunité d’exécution. Un point jugé non négociable par les autorités monétaires régionales.

En guise de rétorsion, une initiative portée par le républicain américain Bill Huizenga vise à bloquer tout appui des États-Unis au sein du FMI aux pays de la CEMAC. Un levier de poids : avec 16,73 % des droits de vote, Washington peut opposer son veto à toute assistance budgétaire.

Une véritable épée de Damoclès, alors que les réserves extérieures de la zone ne couvrent que 4,8 mois d’importations (mars 2025), et que le soutien du FMI reste central pour la stabilité des comptes publics.

Paris défend la ligne monétaire de la BEAC

Dans ce contexte explosif, le soutien exprimé par Bercy à la réglementation de la BEAC est tout sauf anodin. « La France continuera à appuyer la mise en œuvre de la réglementation des changes et les relations des États de la CEMAC avec le FMI », affirme un communiqué publié à l’issue de la réunion.

Aucune précision toutefois sur la nature opérationnelle de ce soutien, alors que le délai imposé aux entreprises pour se conformer à la réglementation – le 30 avril 2025 – approche à grands pas. Passé ce cap, la BEAC promet de lourdes sanctions à l’encontre des récalcitrants.

Une guerre des chiffres

Selon une étude interne de la banque centrale, le strict rapatriement des fonds RES pourrait injecter jusqu’à 6 000 milliards FCFA, soit 9,6 milliards de dollars, dans les réserves de change de la zone. Un levier crucial pour maintenir la parité fixe du franc CFA avec l’euro et éviter une crise de change.

Mais pour les industriels du secteur, ce verrou réglementaire constitue un repoussoir pour les capitaux. Selon la Chambre Africaine de l’Énergie, la mesure pourrait entraîner une baisse cumulée des investissements étrangers à hauteur de 45 milliards de dollars d’ici 2050, et une perte de 86 milliards de dollars de recettes publiques.

Un calcul que les États de la CEMAC balaient, arguant que l’enjeu dépasse la simple attractivité. « Il ne s’agit pas d’un débat technique, mais d’un impératif de souveraineté monétaire », insiste un haut responsable économique de la région.

La dernière chance à Washington
La médiation engagée mi-avril entre États et industriels n’a pas permis de lever les blocages. Une dernière réunion est prévue à Washington le 22 avril, en amont de la décision définitive de la BEAC.

En attendant, Paris semble avoir choisi son camp. Et assume, en filigrane, une réaffirmation de son rôle historique dans la régulation monétaire d’une zone toujours sous régime de coopération.