La multiplication des renversements des pouvoirs politiques civils en Afrique de l’Ouest par des hommes en uniforme militaire ne cesse d’alimenter les causeries et autres débats publics. D’abord le Mali, puis le Tchad, ensuite la Guinée Conakry et enfin le Burkina Faso, ces coups d’état semblent répondre à une stratégie ou à une problématique dont les contours et les réels objectifs restent encore flous pour le moment.

Nombreux sont ceux qui soutiennent la thèse selon laquelle, pour ce qui est de ces renversements de pouvoir, nous serions face à un arrangement de gens en uniforme de la même promotion. Cet argument servi de manière récurrente paraît trop léger pour répondre à une quelconque problématique sérieuse.
D’autres affirment que ce serait une stratégie mise en place par des mains invisibles noircies pour tenter de reconfigurer le paysage politique dans cette partie du continent. Celle raison paraît déjà plus plausible ou sérieuse à quelques nuances ou exceptions près: le cas du Mali. Ces bouleversements sont sans nous rappeler à plusieurs égards l’esprit du printemps arabe.

Avec les dérives et l’attitude irresponsable de la junte au Mali, il est certain que les lobbies à la manœuvre ne miseront plus sur les coups d’état militaires pour tenter de redessiner la cartographie géostratégique qui devrait permettre (1) de lutter efficacement contre le terrorisme qui sévit dans cette zone du continent ou (2) de reconquérir un certain nombre d’avantages dans l’acquisition et l’exploitation de minerais stratégiques abondants dans cette région de l’Afrique. C’est la raison objective qui peut expliquer l’échec du coup d’état manqué en Guinée Bissau.
Pour ce qui est du Gabon, certes tous les ingrédients sont plus que jamais réunis pour justifier un renversement du pouvoir, une chienlit indiscutable semblant désormais diriger le pays, la nature même de ceux qui pourraient conduire une telle opération les disqualifie totalement. Trop corrompus et très embourgeoisés, ces hommes en treillis militaires sont, comme les politiques civils corrompus, une partie du problème du pays.

En effet, il y a belle lurette que les objectifs de l’uniforme militaire ont foutu le camp de leurs esprits. L’armée pour beaucoup n’a pas été choisie par vocation mais par nécessité de gagner de quoi vivre chaque fin de mois et de s’assurer une retraite payée par le contribuable. Donc c’est pas avec ce genre de profil sans conviction que les changements attendus par le peuple pourraient être honorés.

Ensuite, il y a le risque d’effet de contagion à éviter. Les pouvoirs politiques en Afrique centrale sont vieillissants. Il convient pour les manoeuvriers de maintenir une stabilité de cette zone stratégique pour le bonheur de plusieurs entreprises étrangères, notamment françaises. Les changements de pouvoir ne devront se faire que de manière apaisée. Aussi, des transitions rassurantes seront alors privilégiées. Et cela semble déjà en cours.

Enfin, les problématiques géostratégiques et géopolitiques ne sont pas les mêmes qu’en Afrique de l’Ouest. La montée du terrorisme fait que le positionnement d’un dispositif militaire au sommet se justifie afin de faciliter une coordination des différentes opérations. Or, en Afrique centrale, il n’est nullement question de terrorisme mais de capacité pour les occupants du poste à garantir non seulement la stabilité de la zone mais également le maintien d’une relation privilégiée avec l’ancienne puissance coloniale.
A cette idée sus énoncée, au niveau du Gabon, tel que le modèle militaire national est conçu, c’est la garde républicaine qui serait la mieux placée pour agir. Malheureusement, l’overdose des hommes de cette troupe appartenant à la même région donnerait plutôt une impression de vouloir conserver le pouvoir coûte que coûte dans le Haut-Ogooué au lieu de remettre de l’ordre dans le pays comme le veut l’objectif premier des coups d’état. Ce qui est un trop grand risque.

Et facilement, cette armée se confondrait à une milice comme la Milice de Joseph Darnand sous l’occupation en France. D’ailleurs à plusieurs reprises, les hommes de ce corps d’armée ont été accusés, à tort ou à raison, d’avoir joué le même rôle que Klaus Barbie, cet officier de police allemand et criminel de guerre, durant l’occupation de la France par l’Allemagne nazie. Face à cette situation, inévitablement des résistances diverses ne pourront qu’émerger avec comme mobile de galvanisation des citoyens libres, les thèses devenues légitimes de Pierre Claver Maganga Moussavou.

Rien que pour ces raisons, un renversement du pouvoir en place par la force militaire au Gabon n’est ni opportun ni envisageable ni réaliste. En plus, la France, du fait de l’esprit de certains accords de défense, du contexte géopolitique actuel sous-régional et du procès en sorcellerie qui lui est fait par certaines jeunesses africaines, ne peut nullement soutenir une telle opération dont l’issue reste trop incertaine voire suicidaire.
Des civils formés, pondérés et expérimentés seront préférés à nos militaires souvent brutes et rugueux. A bien observer, les dés sont déjà jetés.

Par Télesphore Obame Ngomo