En 1964, lorsque le Gabon vécut sa première tentative de coup d’état, c’est la France de De Gaulle, sous le commandement stratégique de Jacques Foccard, qui rétablit le président Léon Mba de ses fonctions. Ce dernier était bel et bien déchu voire perdu.

En 1993, le père Paul Mba Abessolo, animé par une volonté de changement sans pareille, galvanisé par des militants courageux et des sympathisants déterminés que favorisait un contexte politico-social nouveau, issue des bouleversements mondiaux entraînés par le vent de l’Est de 1990, avait quasiment terrassé le pouvoir chancelant et vacillant d’Omar Bongo Ondimba.
Selon les témoignages d’Omar Bongo Ondimba lui-même, c’est grâce à l’aide de la France présidée par François Mitterrand, sous la supervision de Roland Dumas, que le régime en place fut maintenu après que l’ordre constitutionnel donnera de la voix. C’est dire…
En 2009, à peine Omar Bongo Ondimba venait de passer à l’Orient éternel, ses fils spirituels et politiques décidèrent de se jeter dans une course acharnée vers le pouvoir dans le but d’épouser le fauteuil présidentiel. Les témoignages de gens autorisés, jamais démentis d’ailleurs, disent que les intrigues avaient commencé quelques mois avant la mort du successeur de Léon Mba.
Dans cet épisode, Robert Bourgi qui fut une courroie de transmission parfaite entre les décideurs politiques français et les gardiens du pouvoir au Gabon, affirme que la France n’avait pas de candidat. Ce qui peut sembler invraisemblable mais qui est pourtant fort probable au regard des faits précédant la mort d’Omar Bongo Ondimba.

En effet, à la demande du président gabonais, Nicolas Sarkozy avait opposé une fin de non recevoir quant à la volonté du vieux président africain de voir le président français échanger avec son fils Ali Bongo Ondimba. Était-ce la recherche d’un adoubement? Cela paraît évident si on se plonge dans l’esprit de la Françafrique.
C’est finalement à Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée à qui cette mission de recevoir Ali Bongo sera confiée. La démarche ne suffisant pas, le président Omar Bongo Ondimba insistant, Nicolas Sarkozy finit par recevoir Ali Bongo. Il paraît évident qu’on était plutôt dans l’ordre de la courtoisie, du respect et de la reconnaissance envers Omar Bongo Ondimba que l’envie de recevoir cet hôte jugé « extraordinaire ».
Ces éléments historiques vérifiables sont bien la preuve que la France n’avait pas de candidat ou plutôt qu’Ali Bongo Ondimba n’était pas celui de la France.
D’ailleurs, pour renchérir cette affirmation, il est important de se replonger dans la rencontre réunissant Bruno Joubert, diplomate chevronné et monsieur Afrique de l’Élysée à cette époque, Robert Bourgi et Ali Bongo Ondimba. A la fin de l’entretien qui durera près de trois heures, Bruno Joubert dira à Robert Bourgi, qu’Ali Bongo ne serait pas un bon choix. C’est bien dire que la volonté manifestée par Omar Bongo Ondimba n’était pas celle de la France ou de ses responsables.
Malheureusement, la colonisation inversée qu’avait réussi à bâtir Omar Bongo Ondimba et dont parlait si bien Pierre Marion, ancien chef des services secrets français, avait eu raison de la volonté de Nicolas Sarkozy et des décideurs français de cette époque. Trop de compromissions avaient fini par plier le président français. L’histoire nous fait dire qu’en 2009, Ali Bongo Ondimba est finalement devenu le président de la République gabonaise.

Les premières décisions prises et liées à l’exportation du bois, domaine fortement investi par de nombreux français, ont fini par donner raison aux inquiétudes exprimées par Bruno Joubert quant à la pertinence du choix fait. Rappelons que c’est grâce au lobby des forestiers français que le pouvoir de Léon Mba en 1964 fut sauvé. Don’t act.
Dans la même veine que la décision du bois, le redressement fiscal brutal de Total, la perte considérable des marchés par les entreprises françaises installées au Gabon au profit d’Olam, entreprise singapourienne, ont fait amèrement regretter à la France sa passivité affichée et mal assumée de 2009.
En 2016, la France aurait pu se venger du cas Ali Bongo Ondimba en refusant de reconnaître « sa réélection », comme en Côte d’ivoire cela fut fait pour Laurent Gbagbo. Hélas, le profil de Jean Ping était encore moins rassurant que les choix incompréhensibles et brusques d’Ali Bongo Ondimba.
(1) L’ancien président de la commission de l’Union africaine a des origines chinoises. Ce qui ne peut arranger l’esprit du pré-carré français et ses quelques intérêts restants. (2) Jean Ping, par son échec constaté lors de l’élection du président de la commission de l’Union africaine, venait d’être désavoué par les chefs d’état africains. (3) Par ses prises de position légitimes avait osé défier l’Occident sur la question de Mouammar Kadhafi. Un véritable crime de lèse-majesté qui lui coûtera son avenir politique quelques années après. Pour ces raisons, entre les deux maux en présence, le moindre mal, Ali Bongo fut choisi.

Avec la montée d’un sentiment antifrançais en Afrique, l’échec d’une stratégie de type monarchique au sommet de l’État au Gabon depuis l’accident vasculaire cérébral du président de la République, avec l’absence évidente d’une émergence promise à l’horizon 2025, le manque criard de réalisation annoncée depuis 14 ans, l’entrée du Gabon dans le Commonwealth, le soutien manifesté à la Russie face à l’Occident, il y a très peu de chance que la pilule amère ne soit pas faite avaler à Ali Bongo Ondimba s’il tente de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens.
C’est souvent la France qui a servi de « caution », réelle ou imaginaire, pour le maintien des Bongo Ondimba au sommet de l’État. Mais avec tous les choix hasardeux et impertinents opérés, refusant le procès en sorcellerie qui lui est fait par la jeunesse africaine et les différentes sociétés dites civiles, le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba risquerait trop gros s’il tentait de faire un passage en force depuis l’examen médical exigé pour légitimer toute candidature ou après le vote des gabonais.
A ce niveau, on peut affirmer que certains officiels gabonais pourraient séjourner dans les prisons de la Cour pénale internationale (CPI) si la sagesse ne gagne pas la raison des acteurs suicidaires en gestation. Solliciter un troisième mandat pour le président de la République, dans son état fragilisé, pourrait lui être fatale. La tension sociale a atteint un niveau où l’explosion populaire est inévitable si le viol de la volonté du peuple est répété.

Dans le pouvoir en place comme dans le régime existant, des profils capables pour conduire le Gabon vers la félicité tant récitée ou chantée existent. Après l’hégémonie de la légion étrangère au sommet de l’État qui semble être de retour avec l’intronisation de Maixent Accrombessi dans cette fonction maçonnique qui gère les hauts grades, difficile à comprendre pour les profanes, puis l’ère des collégiens du bord de mer, complexés et incompétents, incapables de justifier l’argent volé du covid-19, les gabonais comme le système en place ne sont plus prêts à accepter des délégations farfelues de pouvoir à des gens qui n’ont fait leurs preuves nulle part.
Le pouvoir politique tenu par Ali Bongo a semblé oublier qu’il était intimement lié à la Françafrique. La mort de cette conception de la politique entrainera de facto la mise en danger voire à mort du pouvoir en place. Le mythe supposé ou réel de la protection du pouvoir en place par la France a été tué par les nombreuses défiances engagées. Une quelconque position de neutralité affichée par la France ne pourra jamais servir les intérêts du pouvoir. Et c’est à ce niveau qu’on peut affirmer que plus rien ne sera comme avant.
Autrement dit, dès l’instant où les adversaires au pouvoir d’Ali Bongo prendront acte de la nouvelle posture de la France face à un pouvoir fragilisé de toutes parts, les adversaires déclarés ou insoupçonnés d’Ali Bongo n’écarteront aucune hypothèse visant à prendre le pouvoir. Plus que jamais, l’alternance du nom épousant le sommet de l’État, depuis plus de 50 ans, tend à être une réalité.
Comprendra qui pourra. En 2023, qui sauvera le pouvoir d’Ali Bongo si les débordements de 1993, 2009 et 2016 venaient à se répéter ? Attention au contexte du moment et aux nouvelles relations construites de manière bancale. Plus personne ne veut d’une gestion du pouvoir par délégation. Les impostures imposées sont contestées et rejetées.

Par Télesphore Obame Ngomo